Se muscler l’œil ?

Dans le vestibule de la Villa Rapin, entre deux portes vitrées, à contrejour, entourés de publicités et serrés les uns contre les autres sont présentés une dizaine de dessins au fusain réalisés à l’atelier de Nicole Cottarel. Le contraste est fort avec les brillants portraits colorées qui sont mis en valeur sur les murs à l’intérieur…

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Le dessin d’observation est une discipline pourtant aussi intéressante, du point de vue de la formation, que la copie de reproduction de tableaux de maîtres. Interview d’un élève :
« Nicole Cottarel dit à ceux qui viennent à son atelier « Vous allez vous muscler l’œil ! » Qu’en pensez-vous ? L’avez-vous constaté pour vous-même ?
— (rire) Oui. Mais n’imaginez pas l’atelier de Nicole Cottarel comme une salle de gym ! On peut comprendre sa formule, très imagée, de plusieurs façons.. pour moi cela signifie qu’une perception se construit et qu’une représentation est le résultat d’une suite de choix. Dessiner au fusain une composition comme celle-ci, avec la soupière, ce n’est pas « je regarde et hop je dessine », c’est toute une succession d’allers et retours entre le regard sur l’objet et le regard sur le dessin en train de se faire.
— Vous voulez dire que l’observation de l’objet proposé évolue au fur et à mesure que vous le dessinez ?
— Oui, la perception de ce que l’on a devant les yeux évolue, ce n’est pas une image qu’on reçoit passivement au fond de l’œil et qu’il faudrait « seulement » reproduire sur le papier. L’œil scrute,  cherche, compare sous la direction du cerveau qui  utilise ses connaissances et son aptitude à reconnaître… ou à se tromper, malheureusement… et les deux regards, le regard sur l’objet, le regard sur le dessin sont en interaction pendant toute l’opération.
— On ne dessine pas ce qu’on voit ?
— Si, mais vous et moi ne voyons pas la même chose. Notre attention ne se porte pas spontanément sur les mêmes détails, les mêmes formes, les mêmes valeurs nous n’avons pas les mêmes souvenirs (la soupière familiale, c’est un objet associé à des émotions  il me semble), et nous n’avons pas exactement les mêmes connaissances, bien que nous en ayons beaucoup en commun ! (rire)
— « Se muscler l’œil  » ça veut donc plutôt dire « prendre conscience de nos travers personnels dans la capacité à observer un objet » ,
— Pas seulement, car il y a la même exigence en ce qui concerne le regard sur le dessin lui-même, en tant qu’objet, lui aussi, à examiner. « Se muscler l’œil », au sens auto-critique, incite à mieux discerner ce qu’il faut dessiner et ce qu’il faut omettre, ce qu’il faut souligner et ce qu’il faut estomper en étant constamment en train d’améliorer le dessin. Le dessinateur ne doit pas penser qu’à lui-même, il doit se décentrer, savoir qu’il est en train de donner des indices à celui qui regardera son dessin. Quelles indications sont nécessaires ? quelles autres sont superflues ou risquent de brouiller le regard… ce n’est pas parce que tel détail a attiré mon attention que je dois forcément m’attarder dessus.
— Bigre,  le dessin d’observation, c’est vraiment une discipline au sens exigeant ! dîtes donc ça ne rigole pas … on comprend que beaucoup préfèrent « se lâcher » dans la non-figuration… Vous n’avez pas envie de vous lâcher vous aussi ?
— Oh non. Je ne suis pas assez créatif, et franchement le dessin d’observation procure de très grands plaisirs. Et l’ambiance du cours est bonne, il n’y  a pas compétition.
— C’est lequel le vôtre ?
— Je ne vous le dirai pas..
— Celui-ci ?

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— Non. Mais je voudrais revenir sur la question que vous m’avez posée. Prenons l’exemple du beau portrait en couleur qui est exposé là en face du bureau de Stéphanie.

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Beaucoup de personnes qui n’ont jamais travaillé le dessin, je crois, pensent que dessiner au fusain, donc en « noir et blanc » ce serait un peu comme produire une image d’un appareil photo ancien, avec pellicule argentique, quelque chose comme ça, par exemple.

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Eh bien non, et c’est aussi pour cela que les dessins ne seront jamais absolument semblables. Un dessin au fusain du portrait produirait par exemple quelque chose comme ça,

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mais ça pourrait être très différent de cet exemple, en choisissant, oui en choisissant d’accentuer plus ou moins telle ombre, d’atténuer tel contraste etc…

fusainNeoet là vous ne vous reportez plus au modèle, vous regardez comment apporter plus de cohérence ou de sens au dessin dans son unité.
— Merci !

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